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Écosystèmes forestiers

Deuxième plus grand bloc de forêts denses humides après l’Amazonie, les forêts d’Afrique centrale représentent un réservoir exceptionnel de carbone et de biodiversité pour les pays concernés et pour la planète entière. Ces forêts offrent des moyens de subsistance à 60 millions de personnes et contribuent à en nourrir 40 millions d’autres dans les centres urbains à proximité. Elles jouent un rôle social et culturel essentiel pour les peuples autochtones et les communautés locales. L’importance des forêts d’Afrique centrale sur les plans écologique, économique, social et culturel a placé celles-ci au coeur des discussions internationales ayant comme objectif de préserver ces écosystèmes uniques et indispensables au bon fonctionnement de la planète.

Les forêts constituent un réservoir dynamique de ressources forestières, de carbone et de biodiversité qui grandit à mesure qu’elles s’étendent et maturent, ou, au contraire, se réduit du fait de la déforestation et de la dégradation forestière. Une caractérisation précise des forêts tropicales humides et de leurs dynamiques de changement est nécessaire pour définir les politiques de gestion forestière et de conservation des écosystèmes, en permettant dans le même temps de quantifier la contribution de ces espaces boisés aux flux de carbone mondiaux et de répondre aux défis climatiques à venir. Les efforts nationaux et internationaux pour la protection de ces écosystèmes forestiers reposent notamment sur une planification durable de l’utilisation des terres tant pour l’exploitation forestière que pour la conservation de la nature. Le mécanisme international de réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD+) encadre les efforts nationaux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et à renforcer l’absorption et le stockage pérenne de ces gaz. La performance des activités REDD+ est évaluée à partir d’un Niveau d’Émissions de Référence pour les Forêts (NERF) estimé à l’échelle nationale.

Pour plus d’information sur les écosystèmes forestiers du bassin du Congo, leur diversité, leur gestion, leur interaction avec le climat,... Rendez-vous aux Etats des Forets de l’OFAC.

Cartographie des forêts

Depuis des décennies, les scientifiques ont tenté d’établir une typologie des formations forestières, qui rende compte de toute la diversité observée dans les forêts d’Afrique centrale. Certaines typologies ont catégorisé la végétation selon des zones phytogéographiques comme Lebrun and Gilbert (1954), Monod (1957), Letouzey (1968) ou Troupin (1966 ) ou selon les grandes zones chorologiques comme White (1986). Ces typologies traduisent souvent des divergences endémiques de compositions floristiques. D’autres typologies comme celle dite de « Yangambi » (Aubréville 1957) distinguent les différentes classes de végétation sur base d’éléments physionomiques. Aujourd’hui, la multiplication des sources de données et la diversité des enjeux environnementaux encouragent la caractérisation des écosystèmes forestiers selon des approches floristiques, physionomiques et de stock de carbone afin de cartographier leur variété fonctionnelle ou structurelle, de délimiter les habitats naturels menacés ou d’établir un bilan de carbone.

Les travaux se basant sur une étude phytogéographique des forêts s’intéressent à la composition floristique sur base des individus inventoriés sur le terrain. C’est le cas de la synthèse exceptionnelle de Réjou-Méchain et al. (2021) qui décrit les compositions floristiques et fonctionnelles des forêts d’Afrique centrale. De manière complémentaire, les nouvelles données d’observation par satellites à haute résolution spatiale ont permis d’appréhender la structure de la canopée à l’échelle du peuplement forestier pour établir une nouvelle cartographie grâce à la collaboration étroite entre les experts nationaux et l’université Catholique de Louvain. Enfin, une analyse critique des informations cartographiques disponibles sur les stocks de carbone fait le point sur l’état des connaissances.

Composition floristique et fonctionnelle des forêts tropicales d’Afrique centrale

Les inventaires d’aménagement réalisés par 105 concessions forestières réparties sur toute l’Afrique centrale (exceptée dans les zones de sols hydromorphes et les zones d’altitude) ont fourni de précieuses informations sur leur composition floristique et fonctionnelle. Un total de plus de 180 000 placettes d’inventaire (soit environ 90 000 ha cumulés) a permis l’analyse de 6 millions d’arbres de plus de 30 cm de diamètre appartenant à 193 taxons bien identifiés et représentant l’essentiel des individus présents dans ces placettes.

La distribution conjointe de l’abondance de l’ensemble de ces taxons, moyennée sur des mailles de 10x10 km², a été modélisée à partir de 24 variables climatiques, d’informations relatives aux types de sols (sableux vs argileux) et d’un indice de pression anthropique, sur une zone couvrant 85 % des forêts denses de terre ferme d’Afrique centrale.

Trois gradients floristiques majeurs ont été mis en évidence par une analyse factorielle des correspondances (AFC), réalisée sur les abondances prédites des taxons à l’échelle régionale : 1) le gradient floristique le plus prononcé est fortement corrélé au climat, qui sépare les zones à saison sèche fraîche et à faible intensité lumineuse (zone atlantique) et les zones ayant un taux élevé d’évapotranspiration (limite nord des forêts d’Afrique centrale) ; 2) le deuxième gradient floristique est fortement corrélé à la saisonnalité et à la température maximale, établissant un contraste entre les zones équatoriales à faible déficit en eau et les zones à fort déficit en eau vers les limites des tropiques ; 3) le troisième gradient floristique met en évidence des variations floristiques plus locales, principalement dues à l’impact de l’homme.

Cartographie détaillée des types de forêts

L’ambition d’une cartographie à grande échelle des types de forêts a pour objectif d’appuyer un ensemble d’applications nationales ou provinciales relatives à la gestion durable et la conservation des écosystèmes forestiers du bassin du Congo. De 1999 à 2012, plusieurs cartes de végétation ont été publiées à partir d’observations par satellite passant progressivement d’un kilomètre à 300 m de résolution spatiale (Mayaux et al. 1999 ; Mayaux et al. 2004 ; Vancutsem et al. 2006 ; Verhegghen et al. 2012 ; Gond et al. 2015) pour fournir une première vision synoptique du massif forestier à l’échelle régionale. La nouvelle cartographie détaillée tant sur le plan spatial que sur le plan sémantique améliore la connaissance spatiale des forêts grâce aux nouvelles capacités d’observation de la terre disponibles depuis le lancement du programme européen Copernicus. Contrairement aux missions satellitaires antérieures, ce programme Copernicus est opérationnel sur le long terme assurant une redondance technologique (plusieurs satellites) et un accès libre. À la faveur d’une stratégie d’acquisition continue avec des résolutions spatiales de 10-20 m et temporelle de 5 à 12 jours respectivement, les satellites Sentinel 1 et 2 constituent les nouveaux instruments de référence pour un suivi régulier sur le long terme des écosystèmes forestiers. En parallèle, la disponibilité croissante de mosaïques de type Planet à très haute résolution spatiale, mais de qualité plus variable, constitue aussi une nouvelle source de données particulièrement adaptée à l’interprétation visuelle d’échantillons répartis sur l’ensemble du bassin.

Dans le cadre de l’Observatoire des Forêts d’Afrique Centrale, une typologie régionale harmonisée des types de forêts couvrant les 10 pays de la COMIFAC a été élaborée depuis 2018 grâce à plusieurs ateliers régionaux rassemblant les experts nationaux. Les 13 catégories forestières de cette typologie sont définies à l’aide du Land Cover Classification System (LCCS) relatif à la norme ISO 19144-1

Dans le cadre de l’Observatoire des Forêts d’Afrique Centrale, une typologie régionale harmonisée
                          des types de forêts couvrant les 10 pays de la COMIFAC a été élaborée depuis 2018 grâce à plusieurs
                          ateliers régionaux rassemblant les experts nationaux. Les 13 catégories forestières de cette typologie
                          sont définies à l’aide du Land Cover Classification System (LCCS) relatif à la norme ISO 19144-1
Cartographie détaillée des types de forêts
Dynamique des forêts denses humides
Dynamique des forêts denses humides

Répartition des stocks de carbone forestier en Afrique Centrale

Les forêts d’Afrique centrale séquestrent environ 40 Gt de carbone (Saatchi et al. 2011). Ces forêts présentent des caractéristiques structurales qui les distinguent des forêts amazoniennes : la densité en arbres à l’hectare y est moins importante, mais les arbres de gros diamètre y sont plus nombreux et, à diamètre équivalent, les arbres y sont plus grands, ce qui résulte en une quantité de carbone – ou de biomasse – à l’hectare supérieure en moyenne à celle des forêts amazoniennes (Sullivan et al. 2017). Enfin, si la capacité d’absorption de carbone atmosphérique des forêts amazoniennes non perturbées est en déclin depuis une trentaine d’années, du fait d’une augmentation de la mortalité des arbres attribuée aux changements climatiques (Brienen et al. 2015), cette tendance n’est pas encore observée en Afrique centrale (Hubau et al. 2020). Actuellement, malgré leur superficie comparativement plus faible, les forêts non perturbées en Afrique absorbent donc désormais plus de carbone que celles d’Amazonie. Une augmentation des pertes de carbone post-2010 est cependant observée (cf. section 3.3 Estimation des taux de changements) menant ainsi à une future saturation des capacités d’absorption des forêts intactes en Afrique centrale malgré leur stabilité observée jusqu’ici (Hubau et al. 2020).

En effet, aucun capteur satellitaire ne permet de « mesurer » directement le carbone ou la biomasse forestière. Les cartes produites par télédétection résultent donc de relations indirectes établies entre ce que les capteurs mesurent réellement (par exemple, la réflectance d’un peuplement forestier) et des estimations de biomasse de référence, souvent issues d’inventaires forestiers. Or, la grande majorité des signaux satellitaires actuels sont très peu sensibles aux variations de biomasse dès lors que celles-ci dépassent 100 à 200 t.ha-1 (on parle de « saturation » du signal), ce qui représente la très large majorité des forêts d’Afrique centrale. Par ailleurs, la frange atlantique de l’Afrique centrale est caractérisée par une forte nébulosité qui pollue les signaux satellitaires optiques et complexifie davantage la cartographie à large échelle de la biomasse.

Dynamique des forêts denses humides

Au-delà de la caractérisation de chaque type de forêts, le suivi régulier du couvert forestier est essentiel pour quantifier et localiser les processus de changements observés comme la déforestation, la dégradation et la reforestation. L’importance relative des moteurs de changements de ces différentes dynamiques est discutée et l’impact de l’affectation du sol sur ces dynamiques est ensuite analysé.

La cartographie exhaustive à haute résolution spatiale des forêts tropicales humides (TMF en anglais) sur les 20 dernières années (de l’an 2000 à 2020) nous a livré de nouvelles données sur ces espaces forestiers (voir la figure 1.12). Leur étendue, les perturbations qu’ils subissent (déforestation et dégradation), puis la régénération qui leur fait suite sont documentées tous les ans (Vancutsem et al. 2020). Ces données annuelles sur les forêts denses humides (ou produit TMF) et celles de Global Forest Watch (Hansen et al. 2013), disponibles depuis 2013, sont les seules informations cohérentes et à jour pour suivre la déforestation des forêts d’Afrique centrale depuis l’an 2000. La cohérence de la méthode est un élément déterminant du suivi des forêts et la couverture annuelle et globale des produits de GFW et du CCR est un avantage majeur de ces produits. Les informations du produit TMF de Vancutsem et al. (2020) sont très détaillées sur le plan thématique ; c’est un document sans précédent sur la déforestation en Afrique centrale, qui présente la déforestation après la dégradation et la déforestation suivie d’une régénération, qui identifie une conversion précise des forêts au profit de commodités ou de l’eau et expose aussi l’évolution des mangroves. Cela a été possible grâce à l’analyse de chaque observation valide des images d’archives Landsat qui permet de constater les perturbations de courte durée telles que la coupe sélective et les phénomènes météorologiques extrêmes. Actuellement, le produit TMF et les données de GFW sont les principales sources qui nous alertent sur les activités responsables de la déforestation et sont utiles pour la stratification d’un plan d’échantillonnage sur le terrain. Le principal avantage de l’échantillonnage est la possibilité de quantifier les incertitudes dans les estimations.

Dynamique des forêts denses humides
Dynamique des forêts denses humides

Estimation des taux de changement

La superficie des forêts sempervirentes et semi-décidues d’Afrique centrale était estimée à environ 200 millions ha en janvier 2020, dont 184,7 millions ha sans aucun signe visible de perturbation (Vancutsem et al. 2020). Dans l’ensemble, ce sont près de 9 % de la superficie des forêts tropicales humides d’Afrique centrale qui ont disparu depuis l’an 2000, c.-à-d. 18 millions ha.

Ces résultats soulignent l’importance du processus de dégradation dans ces écosystèmes qui aboutit à deux constatations : les forêts dégradées en Afrique centrale représentent environ 7 % de la surface restante de TMF (jusqu’à 30 % si l’on considère les forêts situées en bordure des zones perturbées), et environ 40 % de toutes les perturbations forestières (déforestation, régénération et dégradation).

L’analyse de l’évolution montre une augmentation considérable du taux annuel de perturbation dans les forêts tropicales humides d’Afrique centrale au cours des cinq dernières années (2015-2020) : il est en effet de 1,79 million ha par an alors qu’il n’était que de 1,36 million ha au cours de la décennie précédente (2005-2015)

Avec 105,8 millions ha, la République démocratique du Congo est le pays d’Afrique qui présente la plus vaste superficie restante de forêt tropicale humide non perturbée, et c’est le deuxième du monde tropical, après le Brésil et avant l’Indonésie. Le Gabon, le Cameroun et la République du Congo affichent des superficies similaires de forêts intactes (entre 19,8 et 23,4 millions ha in 2019). En République du Congo et au Gabon, le déclin est peu marqué pour la période 2000-2019 (0,03- 0,1 million ha/an) par rapport au chiffre de la RDC (1,4 million ha/an) (Vancutsem et al. 2020). Depuis 2009, le taux annuel des perturbations a augmenté dans tous les pays d’Afrique centrale. Si le taux actuel des perturbations se poursuit (celui des 10 dernières années), la République démocratique du Congo aura perdu d’ici 2050 22 % de ses forêts humides (leur surface passant de 116,9 millions ha en 2020 à 91 millions ha en 2050) et 33 % de ses forêts humides non perturbées (qui régresseront de 105,8 à 71,4 millions ha).

Estimation des taux de changement