Démographie et développement
En 2016, les 10 pays d’Afrique centrale abritent une population humaine globale de l’ordre de 150 millions d’habitants,
dont il est estimé que 20-30 millions habitent les forêts ou leur abord immédiat. Le taux d’accroissement annuel varie entre
1,98% en RCA et 3,29% au Burundi. Alors que le taux d’accroissement le plus faible frôle les 2% en RCA, il est supérieur à 3% en RDC,
au Tchad et au Burundi. D’après le Population Reference Bureau, la population globale « prévue » pour 2050 serait de 384 millions pour la sous-région.
Pays |
Superficie pays (km2) (a) |
Population (millions) (b) |
Densité moyenne (hab/km2) |
Accroissement (%) (b) |
Population 2050 (millions) (c) |
Urbanisation (%(c)) |
Pop/ha cultivé permanent (c) |
année |
2015 |
2015 |
2015 |
2015 |
mi-2016 |
mi-2016 |
mi-2016 |
Burundi |
25 680 |
11,179 |
435,32 |
3,29 |
30,4 |
12 |
9,25 |
Cameroun |
472 710 |
23,344 |
49,38 |
2,48 |
51,9 |
54 |
3,93 |
Gabon |
257 670 |
1,725 |
6,69 |
2,20 |
3,5 |
87 |
5,43 |
Guinée équatoriale |
28 050 |
0,845 |
30,12 |
2,90 |
2,0 |
40 |
7,25 |
RCA |
622 980 |
4,900 |
7,87 |
1,98 |
9,7 |
40 |
2,78 |
RDC |
2 267 050 |
77,267 |
34,08 |
3,14 |
213,8 |
42 |
11,24 |
République du Congo |
341 500 |
4,620 |
13,53 |
2,53 |
10,2 |
65 |
8,82 |
Rwanda |
24 670 |
11,609 |
470,57 |
2,34 |
23,6 |
29 |
10,06 |
São Tomé et Principe |
960 |
0,190 |
197,92 |
2,12 |
0,3 |
67 |
22,79 |
Tchad |
1 259 200 |
14,037 |
11,15 |
3,26 |
38,5 |
22 |
2,96 |
Région |
5 300 470 |
149,718 |
28,25 |
2,93 |
383,9 |
40 |
|
Table 1: Demographic parameters
Sources:
- a) Food and Agriculture Organization, 2015.
- b) Banque Mondiale, Catalogue de données, 2015 : (1) United Nations Population Division. World
Population Prospects, (2) Rapports de recensement et autres publications statistiques
nationales, (3) United Nations Statistical Division. Population and Vital Statistics Report et
(4) U.S. Census Bureau: Base de données internationale.
- c) Population Reference Bureau - 2016 World Population Data Sheet.
Le PIB/habitant varie de 584 US$ (RCA) à 32 685 US$ (Guinée-Equatoriale). Il est inférieur à 1 000
US$ au Burundi, en RDC et en RCA. Il est supérieur à 10 000 US$ au Gabon et en Guinée-Equatoriale.
La disparité entre pays de la sous-région est donc grande et repose, entre autres, sur la présence
ou l’absence de ressources minières ou pétrolières.
Le niveau d’alphabétisation varie beaucoup d’un pays à l’autre et la disparité hommes/femmes reste
généralement importante, bien qu’elle se réduise progressivement.
Pays |
Espérance de vie H/F (d) |
Educ. primaire H/F (e) |
Educ. secondaire H/F (e) |
Illetrés >15 ans (%) (e) |
PIB/hab (US$) (d) |
IDH et classement (d) |
année |
2014 |
variable |
variable |
2015 |
2013 |
2014 |
Burundi |
54,8/58,7 |
127/128 (2014) |
41/35 (2014) |
12/17 |
747 |
0,400 (184) |
Cameroun |
54,4/56,7 |
120/107 (2014) |
61/52 (2014) |
19/31 |
2 739 |
0,512 (153) |
Gabon |
63,8/65 |
144/140 (2011) |
53 (moy. 2002) |
15/19 |
18 646 |
0,684 (110) |
Guinée équatoriale |
56,3/59 |
85/84 (2012) |
32/23 (2005) |
3/7 |
32 685 |
0,587 (138) |
RCA |
48,8/52,6 |
107/80 (2012) |
23/12 (2012) |
49/76 |
584 |
0,350 (187) |
RDC |
57,2/60,1 |
112/102 (2014) |
54/33 (2014) |
11/34 |
783 |
0,433 (176) |
République du Congo |
60,8/63,9 |
107/115 (2012) |
58/51 (2012) |
14/27 |
5 680 |
0,591 (136) |
Rwanda |
61,1/67 |
132/135 (2014) |
37/41 (2014) |
25/32 |
1 426 |
0,483 (163)
|
São Tomé et Principe |
64,4/68,4 |
116/111 (2015) |
81/89 (2015) |
4/12 |
2 876 |
0,555 (143) |
Tchad |
50,5/52,7 |
115/88 (2013) |
31/14 (2012) |
52/68 |
2 022 |
0,392 (185) |
Table 2: Health and education parameters
- d) Programme des Nations-Unies pour le Développement – 2015 (http://hdr.unpd.org/)
- e) UNESCO Institute for Statistics, Data centre (http://data.uis.unesco.org)
L’index de développement humain ou IDH (Tableau 2), qui intègre des indicateurs de santé, d’espérance-vie,
d’éducation et de niveau de vie, situe quatre pays de la sous-région parmi les pays à niveau moyen
(IDH compris entre 0,700 et 0,550) et six pays à niveau bas (IDH inférieur à 0,550).
Sur 188 pays évalués dans le monde, les pays de la sous-région sont situés entre la 110ème place (Gabon) et la 187ème place (RCA).
Sur les 3 dernières décennies,malgré quelques périodes de baisse ou stagnation l’ensemble des pays de la sous-région ont connu une progression globale. C’est au Rwanda que l’IDH a le plus fortement progressé avec une augmentation globale de 0,184 points.
Pays |
IDH 1980 |
IDH 1990 |
IDH 2000 |
IDH 2010 |
IDH 2014 (classement) |
Burundi |
0,230 |
0,295 |
0,301 |
0,390 |
0,400 (184) |
Cameroun |
0,405 |
0,443 |
0,437 |
0,486 |
0,512 (153) |
Gabon |
0,548 |
0,620 |
0,632 |
0,663 |
0,684 (110) |
Guinée équatoriale |
0,484 [1985] |
0,526 |
0,591 |
0,587 (138) |
RCA |
0,302 |
0,314 |
0,310 |
0,362 |
0,350 (187) |
RDC |
0,346 |
0,355 |
0,329 |
0,408 |
0,433 (176) |
République du Congo |
0,527 |
0,534 |
0,489 |
0,554 |
0,591 (136) |
Rwanda |
0,299 |
0,244 |
0,333 |
0,453 |
0,483 (163) |
São Tomé et Principe |
0,452 |
0,455 |
0,491 |
0,544 |
0,555 (143) |
Tchad |
0,342 [1985] |
0,332 |
0,371 |
0,392 (185) |
Table 3: Evolution of the HDI (1980-2014)
- Programme des Nations-Unies pour le Développement – 2015 (http://hdr.unpd.org/)
Densité de la population
La densité moyenne de population varie énormément d’un pays à l’autre avec comme valeurs extrêmes :
6,69 habitants/km² au Gabon et 470,57 habitants/km² au Rwanda. Le nombre d’habitants par hectare de
terres cultivées en permanence varie par conséquent aussi beaucoup : 2,78 en RCA pour 22,79 à Sao
Tomé et Principe. Alors que ces taux restent encore relativement faibles au regard d’autres régions
du monde, il est à noter qu’ils ont été multipliés par des facteurs compris entre 2 et 4 sur la
dernière décennie.
La densité de population aussi varie beaucoup d’une région à l’autre à l’intérieur des pays. En ce
qui concerne plus particulièrement la zone forestière, les plus fortes densités de population sont
observées dans les régions d’altitude du Cameroun occidental et du rift Albertin. Les régions les
moins peuplées couvrent le Gabon et une grande partie de la République du Congo. Dans ces régions
là, la densité de population est inférieure à 0,1 habitant/km² sur de très vastes superficies.
Ce faible peuplement de certaines régions du massif forestier est exacerbé par un fort taux
d’urbanisation, surtout au Cameroun, au Congo, à São Tomé et Principe et au Gabon. Dans ce dernier
pays, il atteint 87%. A l’opposé, le Tchad, le Rwanda et le Burundi sont les trois pays avec le plus
faible taux d’urbanisation.
Répartition des populations rurales
Dans l’Afrique centrale forestière, les populations rurales ne représentent que 13 à 60 % de la
population globale des Etats. Le plus souvent elles sont concentrées le long des routes ou le long
des cours d’eau. Au Gabon et en République du Congo (ex-Afrique équatoriale française), ce
regroupement a été initié par l’administration coloniale française depuis 1930 et poursuivi jusque
dans les années 1970 par les administrations des Etats indépendants. En RDC, ce regroupement est
moins poussé et il s’est fait spontanément par attraction des populations le long des voies de
communication (routes et cours d’eau), mais, avec la dégradation progressive de la sécurité,
beaucoup de populations se sont à nouveau retirées en forêt pour échapper aux bandes armées qui
empruntent les routes.
Ce regroupement des populations rurales le long des axes de communication a pour effet une
concentration de leurs impacts sur les milieux forestiers (déforestation et dégradation) dans une
bande de 5-20 km le long de ces axes. Ce phénomène est bien visible sur les photos prises par
satellite. Par contre, cette concentration réduit dans une certaine mesure les pressions sur les
forêts situées à plus grande distance. C’est le cas au Gabon. En RDC, et dans une moindre mesure
aussi au Cameroun, les chasseurs érigent des camps temporaires à grande distance de leurs villages.
Au Rwanda et au Burundi, les populations rurales sont totalement dispersées. Au Rwanda, il y eut
toutefois des tentatives de regroupement très localisées avant 1960 et ensuite, sur une échelle plus
importante, après 1994 dans les zones où des populations revenues au pays se font fixées (notamment
dans la région du Mutara).
Impact des populations urbaines
Le taux élevé d’urbanisation (Tableau 1) a fortement réduit la densité des populations rurales tout
en créant dans la zone forestière ou à peu de distance un certain nombre de grandes villes.
Certaines sont dans le domaine forestier, d’autre en dehors (Figure 2).
Leur impact sur les écosystèmes forestiers est très variable. Il dépend en premier lieu de
circonstances culturelles ou socio-économiques. Ainsi, les grandes agglomérations de Douala,
Yaoundé, Libreville, Pointe Noire, Brazzaville, Kinshasa, Mbuji-Mayi, Tshikapa, Kisangani et Bukavu
drainent d’importantes quantités de produits forestiers.
La consommation de bois de feu dans ces grandes agglomérations, généralement sous forme de charbon de
bois, constitue ainsi une pression très importante et occasionne une déforestation rapide dans un
périmètre assez important. Ce phénomène est particulièrement prononcé autour de Kinshasa, Mbuji-Mayi
et Brazzaville par exemple. Il est plus insidieux au Cameroun, où cependant la consommation de bois
de feu affecte la lisière nord du massif forestier, d’autant plus que d’importantes quantité de
charbon de bois seraient exportées vers les pays voisins (Nigeria et Tchad). Etant informels, ces
prélèvements échappent à tout contrôle ou planification.
Le commerce de viande de brousse est un autre aspect très important. Comme celui du charbon de bois,
il dépend largement des possibilités d’acheminement. Le chemin de fer joue un rôle important au
Cameroun et au Gabon. Les routes jouent un rôle important au Cameroun, au Gabon, en République du
Congo et en République centrafricaine. Les cours d’eau jouent un rôle important en République du
Congo et surtout en RDC. Dans ce pays, de grandes quantités de viande de brousse sont cependant
aussi acheminées en bicyclette depuis le centre du pays vers les grandes agglomérations situées au
sud du massif forestier (EdF, 2006).
Les villes du Nord-Cameroun, ainsi que du Rwanda et du Burundi ont peu d’impact sur les écosystèmes
forestiers.
Les grandes agglomérations ont encore un impact important sur les écosystèmes naturels du fait des
pollutions qu’elles engendrent. Ainsi, les villes de Brazzaville et Kinshasa ont un fort impact sur
les écosystèmes aquatiques du fleuve Congo et des déchets se retrouvent jusque sur les plages du
Gabon (Vande weghe, 2007). Les villes côtières, comme Douala, Libreville et Pointe Noire ont
également un impact sur les écosystèmes côtiers et estuariens.
Implantation des populations
De manière générale, l’Afrique centrale est occupée par des populations humaines bien avant
l’avènement de l’homme moderne Homo sapiens. Dans la zone forestière, les plus anciennes évidences
d’occupation humaine proviennent du Gabon où des outils en pierre taillée, trouvés dans le
Moyen-Ogooué, ont été datés de 400.000 ans (Clist
1995 ; Oslisly
2001, 1998).
Au Gabon, en Guinée-Equatoriale et au Cameroun on a aussi trouvé des vestiges du Paléolithique moyen
(Sangoën et Lupembien) apparu il y a 70.000 ans. Tant au Gabon qu’en RDC, on a ensuite trouvé des
outils du Paléolithique supérieur (Tshitolien et cultures apparentées), dont l’âge s’étale entre
40.000 et 5000 ans avant le présent.
Jusqu’il y a quelques milliers d’années, ces populations habitaient vraisemblablement les rives des
grands cours d’eau et les savanes, beaucoup plus étendues durant la majeure partie des derniers
100.000 ans qu’elles ne le sont actuellement. Rappelons que les forêts ont connu une fragmentation
extrême il y a 18.000 à 15.000 ans et qu’elles ne se sont à nouveau pleinement développées qu’à
partir de 12.000 BP pour atteindre leur extension maximale il y a 7.000 ans environ. Ensuite, elles
ont connu de nouvelles phases de recul et de fragmentation à partir de 3900 BP et surtout entre 2500
et 2000 BP. Le fait que les forêts de Basse Guinée et de la région congolaise soient aujourd’hui en
continuité est probablement « exceptionnel » sur le plan historique.
Les Pygmées
Il est difficile de savoir à partir de quelle époque les humains ont habité l’intérieur des grands
massifs forestiers, indépendamment des principaux cours d’eau et des savanes, mais il semble que les
premiers à le faire aient été les Pygmées. Des études génétiques montrent que leur adaptation au
milieu forestier aurait commencé il y a 25.000 à 20.000 ans. Par la suite, leurs populations
auraient fluctué en fonction des variations de l’étendue des forêts, mais les Pygmées de l’est et
ceux de l’ouest semblent être séparés génétiquement depuis 15.000 ans environ (Cavalli-Sforza
1986 ; Bahuchet
1996). Les populations pygmées semblent par ailleurs toujours avoir été très peu denses. En
l’absence de toute agriculture, les hydrates de carbones, rares en forêt tropicale, constituent en
effet un facteur limitant important (Hladik
& al 1996). Aujourd’hui, les Pygmées représentent probablement un peu moins de 1% de la
population totale vivant en milieu forestier et tous les groupes ont établi des liens étroits avec
les populations bantoues. Les Pygmées ne possèdent d’ailleurs plus de langue propre, mais parlent
une langue appartenant à leurs voisins bantous ou oubanguiens. Certains groupes du nord-est de la
RDC, de la RCA ou du Cameroun ont conservé un mode vie semi-nomade ; d’autres, notamment au Gabon,
dans l’est de la RDC, au Rwanda et au Burundi, montrent des degrés variables d’intégration dans les
sociétés bantoues. Le flux génétique entre populations bantoues et Pygmées est aussi relativement
important par endroits du fait que des femmes pygmées sont prises comme épouse par des hommes
bantous. Certains groupes pygmées ont ainsi disparu par assimilation.
Les Bantous
La plupart des populations forestières appartiennent actuellement au groupe Bantou qui comprend deux
sous-groupes distincts. Tous sont toutefois originaire des confins du Nigeria et du Cameroun et ont
débuté leurs migrations il y a 5.000 ans environ (Vansina
1990).
Les Bantous occidentaux se sont dirigés vers le sud. Il y a 4.000 ans, ils ont traversé la Sanaga. Il
y a un peu plus de 3.600 ans, ils sont apparus sur le littoral gabonais. Vers 3.000 BP, ils sont
parvenus au fleuve Congo et vers 2.500 BP au cœur de la cuvette congolaise. Les dernières parties du
massif forestier auraient été colonisées il y a un peu plus de 1.000 ans. Leurs premières vagues
étaient des Néolithiques, les métallurgistes n’étant apparus qu’il y a 2.500 BP. Ces derniers
n’étaient cependant pas parvenus sur l’île de Bioko où les Portugais découvrirent encore des
populations néolithiques à la fin du XVe siècle.
Au cours de leurs migrations, les Bantous ont rencontré les Pygmées avec lesquels ils ont établi des
relations de complémentarité. D’après de nombreuses traditions orales, les Pygmées auraient
d’ailleurs servi de « guides » aux Bantous et de nombreuses traditions bantoues auraient en fait une
origine pygmée. Les Bantous se sont aussi heurtés à des populations qui étaient les descendants des
Lupembiens. D’après Vansina (1990) ces populations auraient été repoussées et éliminées par
concurrence. Cependant, des études génétiques récentes effectuées au Gabon montrent plutôt que
certaines populations actuelles ont assimilé des populations pré-bantoues (Hombert 2007).
Les Bantous orientaux se sont dirigés vers l’Afrique de l’Est. Ils sont apparus dans la région des
Grands Lacs il y a 2.500 ans et étaient d’emblée des métallurgistes, car il n’y a pas de traces de
culture néolithique, ni au Rwanda ni au Burundi ni dans l’est de la RDC. Ensuite, ils se sont
dirigés vers l’Afrique australe et vers la lisière sud du massif forestier (Vansina 1990).
Sur toute la limite orientale et méridionale du massif forestier il y a ainsi eu des échanges entre
Bantous occidentaux et Bantous orientaux qui se sont influencés mutuellement. Sur le pourtour du
massif forestier, les Bantous ont cependant aussi eu des contacts avec d’autres groupes
linguistiques. Au nord, ce furent principalement des Oubanguiens et des Central-Soudaniques dont
l’influence se retrouve dans tout le nord-est de la RDC. A l’est, ce furent des Nilotiques et des
Cushites. Les langues de la région des Grands Lacs comprennent ainsi une part significative
d’éléments non bantous, tantôt nilotiques tantôt cushitiques.
Cet ensemble de migrations a permis aux peuples bantous d’occuper en moins de 5.000 ans la majeure
partie de l’Afrique centrale et une toute grande partie de l’Afrique orientale et australe. Les
raisons de ces migrations sont probablement multiples et complexes. Elles ont probablement varié au
cours de l’histoire. La démographie et les conditions socio-économiques ont certainement joué un
grand rôle, mais il est probable que ces migrations s’insèrent aussi dans le cadre des énormes
bouleversements engendré par la désertification du Sahara qui a commencé il y a 5000 ans et qui a
finalement affecté, directement ou indirectement, l’ensemble des peuples d’Afrique subsaharienne
(Lugan 1997).
Les Oubanguiens
Comme les Bantous, ce groupe linguistique, originaire de la vallée de la Bénoué, a colonisé une
grande partie du Cameroun, du sud du Tchad et de la RCA. Il y a un peu plus de 2000 ans, il a
atteint l’Uélé dans le nord-est de la RDC. Ce groupe comprend uniquement des populations de savane,
mais il a fortement influencé les Bantous occidentaux forestiers.
Peuples indigènes – Peuples immigrants
A l’exemple de ce qui s’est passé en Amérique du Sud, anthropologues, sociologues et politiciens ont
actuellement tendance à parler des Pygmées sous le nom de « peuples indigènes », comme si toutes les
autres populations n’étaient pas « indigènes ». En Amazonie, il est vrai que les Amérindiens ne
représentent plus que 1% de la population globale, le reste étant d’origine européenne, africaine ou
asiatique. Cette situation a engendré des mouvements de protection des peuples indigènes. En Afrique
centrale, n’existe pas de situation comparable et près de 99% des populations sont d’origine
africaine. Certes, beaucoup de groupes ethniques ont encore connu des migrations importantes au
cours des derniers siècles, mais tous sont en contact avec le monde de la forêt depuis longtemps.
Beaucoup ont établi des relations complémentaires d’échanges avec les Pygmées. Certains ont repris
des éléments culturels des Pygmées (chants, rituels) et il existe ou existait en plusieurs régions,
notamment au Gabon, en RDC et au Rwanda, des cérémonies auxquelles participaient à la fois les
Bantous et les Pygmées. D’autres populations encore ont assimilé des populations de Pygmées, par
exemple en épousant des femmes pygmées. Dans certains clans traditionnels du Rwanda, il existe ainsi
des branches pygmées. Enfin, il est actuellement acquis que certaines populations bantoues ont
assimilé de très anciennes populations de chasseurs-cueilleurs pré-bantous. Autrement dit, les
populations actuelles de l’Afrique centrale forestières forment un ensemble complexe ayant des
origines multiples, mais cette complexité est masquée par le fait qu’elles parlent aujourd’hui
pratiquement toutes une langue bantoue. Donc, si l’expression « peuples indigènes » doit quand même
être utilisée en Afrique centrale, elle doit désigner toutes les populations, Pygmées et Bantous
réunis, en opposition aux populations d’origine asiatique ou européenne. Le fait de désigner par ce
vocable uniquement les populations qui ont pu préserver jusqu’à présent un mode de vie semi-nomade
de chasseurs-cueilleurs est difficile à justifier étant donné que ce mode de vie est susceptible
d’évoluer.
Agriculture, élevage et utilisation des ressources spontanées de la forêt
Dans les forêts planitiaires
Dans la majeure partie de l’Afrique centrale forestière, se pratique une agriculture itinérante sur
brûlis (essartage), dont la période de jachère, qui s’étendait jadis sur 10 à 20 ans, tend
actuellement à se réduire. L’élevage est quasi absent et se réduit à celui des chèvres, qui bien
souvent ne servent que de « bien » d’échange lors de mariages ou certaines autres cérémonies.
L’essentiel des protéines animales provient de la chasse et de la pêche. Dans ces régions, se
développe ainsi un paysage en mosaïque comprenant des forêts anciennes, des forêts plus jeunes et
des zones culturales avec cultures, jachères et espace villageois.
Au cours des derniers 20-30 ans, la chasse est devenue une activité hautement commerciale qui tend à
approvisionner les communautés urbaines (Bennett & Robinson 2000).
Malgré un très fort taux d’urbanisation, une partie non négligeable de la
population continue en effet à dépendre des ressources spontanées de la forêt. Dans la plupart des
pays, l’amélioration des voies de communication, l’ouverture des massifs forestiers par
l’exploitation industrielle et la forte augmentation du nombre de véhicules, surtout l’avènement des
véhicules 4x4, facilite cette évolution dont le résultat final est la disparition de la faune
forestière et, indirectement, la « spoliation » des populations rurales qui en dépendaient pour
leurs protéines. En RDC, l’insécurité et les troubles ont chassé certaines populations loin des
routes. L’agriculture s’est effondrée et les populations se sont rabattues sur les ressources de la
forêt. Une situation extrême existe au cœur de la cuvette congolaise, où les chasseurs-braconniers
du parc national de la Salonga approvisionnent la ville diamantaire de Mbuji-Mayi à 350 km au sud
(EdF, 2006). Ailleurs, notamment au Cameroun et au Gabon, des populations urbaines affectées par le
chômage se sont aussi rabattues sur la chasse commerciale comme moyen de subsistance (Bennett & Robinson 2000).
La disparition de la grande faune sur de vastes étendues, notamment en RDC, a pour effet que la pêche
devient la première source de protéines animales (EdF, 2006). Malheureusement, le développement de
l’élevage — petit élevage et grand élevage confondus — se heurte souvent à des obstacles
écologiques, culturels, économiques ou socio-politiques et à des habitudes engendrées par la
mal-gouvernance.
Dans ces mêmes régions, des produits forestiers non ligneux, alimentaires ou pharmaceutiques, sont
aussi beaucoup utilisés. Certains font l’objet d’un commerce important et quelques-uns sont en voie
de raréfaction locale. C’est le cas du Gnetum au Congo, par exemple (EdF, 2006).
Dans les forêts d’altitude
Dans les régions d’altitude du rift Albertin et du Cameroun occidental, se pratique une agriculture
intensive avec période de jachère très courte, parfois même inexistante. Dans ce cas, les
agriculteurs pratiquent plutôt l’alternance des cultures. Cette forme d’agriculture est possible
grâce à la fertilité des sols, surtout lorsqu’ils sont d’origine volcanique, et au climat. A cette
agriculture, ou à côté de cette agriculture, existe toutefois un élevage transhumant de bovins, qui
non seulement utilise les herbages naturels mais aussi les champs épuisés et les jachères où il
entrave toute forme de régénération forestière (Vandeweghe 2004).
Dans ces régions, la forêt a donc tendance à disparaître totalement — ce n’est qu’une question de
temps. Au Rwanda par exemple, les forêts naturelles ne représentent plus que 5-6% de leur couvert
originel (lors du dernier climax forestier) et la déforestation a commencé il y a au moins 2.000 ans
(Van Grunderbeek & al 1981). Dans le Cameroun occidental, le paysage des « Grass Fields », au
nord du plateau de Bamenda, est lui aussi très ancien et largement anthropogénique.
Dans ces régions, les populations utilisent d’ailleurs relativement peu les ressources spontanées de
la forêt, si ce n’est quelques matériaux de construction et des produits pour la pharmacopée
traditionnelle. La chasse n’est pratiquée que de manière marginale. Dans la forêt de Nyungwe au
Rwanda, par exemple, elle ne s’est développée de manière importante qu’avec l’arrivée de
l’orpaillage (Vande weghe, obs. pers.). Dans l’ensemble, les populations de ces régions d’altitude
voient la forêt comme un espace en attente de défrichement. Au Cameroun occidental, il existe
toutefois des formes de protection traditionnelle des forêts subsistantes (EdF, 2006).
Paradoxalement, ces îlots restants de forêt sont souvent relativement bien préservés et supportent
encore une faune importante.
Routes, cours d’eau et chemins de fer
Dans toute la cuvette congolaise les cours d’eau constituent depuis longtemps les principales voies
de communication et le fleuve Congo peut être considéré à juste titre comme l’artère principale de
la RDC.
Dès le début de l’époque coloniale, les puissances colonisatrices ont toutefois été confrontées à
l’enclavement de l’Afrique centrale. Contrairement au bassin amazonien, où les bateaux de mer
peuvent remonter loin dans l’intérieur du continent, l’Afrique centrale est isolée du fait que tous
les fleuves qui se jettent dans l’Atlantique sont coupés par des chutes ou des rapides
infranchissables à 200-300 km à l’intérieur des terres. Ainsi le fleuve Congo n’est pas navigable en
aval de Brazzaville et de Kinshasa. C’est pourquoi dès la fin du XIXe siècle ont été construits les
chemins de fer Brazzaville-Pointe Noire et Léopoldville (Kinshasa)-Matadi. Il en est de même pour
les fleuves du Gabon et du Cameroun, mais les voies ferrées camerounaises et gabonaises n’ont été
construites que beaucoup plus tard.
Le réseau routier s’est développé progressivement au cours du XXe siècle, mais surtout après la
seconde guerre mondiale. Sa densité est très inégale et de vastes régions du Gabon, du Congo et de
la RDC restent peu accessibles. En RDC, avec le déclin de la situation économique, beaucoup de
routes ont été gravement dégradées ou ne sont plus utilisables.
Pour certaines régions d’Afrique centrale, seule la voie aérienne permet l’accès.
Globalement, les voies de communications jouent un rôle fondamental dans tout développement
économique et social. Leurs effets sur les massifs forestiers sont toutefois complexes et parfois
paradoxaux. D’une part, elles favorisent les activités extractives légales, telles que
l’exploitation de bois ou de minerais, et illégales, telles que le braconnage.
Divers organismes, notamment WRI, ont ainsi produit des cartes du réseau routier pour identifier les
massifs forestiers les plus reculés et donc jugés les plus intacts. Cette approche n’est que
partiellement valable. D’une part, il faut aussi prendre en considération les voies navigables, ce
qui est plus difficile. D’autre part, l’effet des routes est assez variable d’un pays à l’autre en
fonction des conditions économiques.
Enfin, les routes n’ont pas seulement des effets négatifs. En permettant l’évacuation de produits
agricoles, elles favorisent le développement de l’agriculture et réduisent les pressions
anthropiques sur les ressources spontanées de la forêt. Tout comme les cours d’eau, elles ont aussi
un pouvoir d’attraction et tendent à concentrer les populations de manière linéaire. Au Gabon, en
République du Congo et en République centrafricaine ce regroupement des populations le long des
routes a été voulu par la puissance coloniale à partir de 1930 et par la suite par l’administration
des Etats indépendants. En République démocratique du Congo, il s’est fait en grande partie
spontanément. Quel que soit le mécanisme sous-jacent, le regroupement des populations le long des
routes et des cours d’eau a pour effet de fragmenter les massifs forestiers tout en préservant, loin
des routes (au-delà de 15 à 20 km), des massifs plus ou moins intacts. Cependant, l’absence de
routes ne signifie pas que ces massifs « isolés » soient à l’abri de la chasse. Sous la pression des
conditions économiques difficiles, les chasseurs en RDC vont chasser très loin de leurs villages,
parfois à plus de 200 ou 300 km. Ainsi, les villes minières du Kasaï, telles que Mbuji Mayi, sont
alimentées en viande de brousse par un transport à bicyclette depuis la région du parc national de
la Salonga à plus de 300 km.
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